La quiescence et la diapause des vers de terre

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Quiescence et diapause correspondent à des périodes de vie ralentie, des phases de repos. Ces mécanismes sont utilisés par nombre d’organismes végétaux, animaux ou cellulaires (bactéries, champignons…). Les vers de terre les utilisent et il est intéressant de se pencher plus précisément sur les différences de ces deux processus.

Les catégories écologiques de vers de terre

Avant toute chose, il faut savoir qu’il existe plusieurs catégories écologiques de vers de terre, une catégorie écologique regroupe plusieurs espèces qui ont les mêmes fonctions, mangent la même nourriture et ont les mêmes comportements.

Les épigés (vers du compost) vivent en surface et se nourrissent exclusivement de matière organique. Les endogés vivent en profondeur et ne sortent jamais de terre, leur nourriture est constituée de sol enrichi en matières organiques dégradées. La catégorie des anéciques est séparée en deux sous-catégories : les anéciques stricts et les épi-anéciques. Les anéciques stricts sortent de terre la nuit pour se nourrir de matières organiques qu’ils trouvent en surface et enfouissent dans le sol. Leur tête est noire car ils se fondent ainsi plus facilement dans l’obscurité de la nuit afin d’échapper aux prédateurs. Les épi-anéciques sortent la journée pour se nourrir de matières organiques. Dans un souci de camouflage, leur tête est rouge, de la couleur des feuilles et des diverses matières organiques qu’ils dégradent. Pour en savoir plus sur les différentes catégories écologiques de vers de terre, consultez la brochure vers de terre 2021 !

La quiescence

Ver de terre en quiescence (© ADAF)

La quiescence est une période comparable à l’hibernation, une phase durant laquelle les vers ralentissent leur activité métabolique. Cette léthargie a lieu en réponse à des conditions environnementales défavorables. Les vers ont besoin d’un sol humide mais pas détrempé, assez frais mais pas gelé (idéalement en dessous de 12°C). La quiescence est utilisée par les endogés et par tous les anéciques. Elle a lieu en hiver quand le sol est gelé, les vers se mettent alors juste en dessous du gel (à quelques millimètres). Le gel descend progressivement dans le sol et, quand la température arrive à 0°C à l’endroit où dorment les vers, ils se réveillent et descendent de quelques centimètres. Cela peut sembler extrêmement étonnant pour nous, qui aurions tendance à nous mettre au chaud le plus profondément possible. Mais les vers de terre sont des animaux à sang froid, ils ne souffrent donc pas d’une température basse. Qui plus est, c’est une solution très stratégique quand on remet les choses dans leur contexte : en hiver, il n’y a pas de nourriture, ou bien elle est gelée, donc impropre à la consommation. Les vers, en se maintenant à la température la plus basse possible, réduisent considérablement leurs besoins métaboliques : ils économisent le peu de ressources dont ils disposent. Étonnamment, la quiescence a lieu également en été car les vers de terre respirent par la peau, ce qui les oblige à la garder constamment humide et les empêche donc d’évoluer dans une terre sèche. Des études montrent également que l’activité des vers s’arrête « automatiquement » quand la terre est à plus de 12°C. Les épigés, en revanche, vivent dans des tas de fumier ou de compost naturellement chauds du fait de la fermentation microbienne, ils seraient donc bien en peine de mener à bien leurs activités avec une limite de 12°C maximum. Leur température limite maximale tourne plutôt autour des 30°C.

La diapause

La diapause, du grec [dia] = à travers ; et du latin [pausa] = interruption, désigne une interruption de la durée du jour. C’est un phénomène à déterminisme génétique¹ qui a lieu tous les jours en été. Il affecte uniquement les anéciques stricts. La différence fondamentale avec la quiescence réside dans le fait que les facteurs environnementaux n’agissent pas du tout sur ce phénomène : le sol peut être parfaitement adapté à l’activité des vers de terre, ces derniers dormiront toute la durée du jour. Mais, ils se réveillent la nuit pour aller manger en surface. En été, on trouve moins de matière organique fraîche, donc moins de nourriture et d’énergie pour les vers, ils se mettent donc en pause la moitié du temps, ce qui leur permet de dépenser beaucoup moins d’énergie que s’ils étaient actifs. Il est important de remarquer que les épi-anéciques (qui réalisent les mêmes fonctions que les anéciques stricts) n’ont pas cette aptitude à la diapause, ils sont donc beaucoup plus sensibles à la sécheresse car ils continuent leur activité en pleine journée, quand le soleil réchauffe le plus et que l’évaporation du sol est la plus importante. On peut d’ailleurs constater que les épi-anéciques sont présents partout dans les pays du nord de l’Europe, mais pas ou très peu dans les pays du sud, plus chauds et secs (on en trouve parfois sur les bords de rivière). Avoir des épi-anéciques dans un sol agricole signifie qu’il y a une nappe phréatique pas très loin, car la terre reste suffisamment humide pour leur permettre de survivre.

Cocon de vers de terre.

Et les épigés dans tout ça ? Les épigés sont rares ou absents dans la plupart des sols agricoles car ils se nourrissent de matières organiques, en général peu nombreuses en surface des sols agricoles. Ces vers de surface sont incapables de rentrer en quiescence ou en diapause. Les vers épigés se reproduisent beaucoup plus que les autres car leur espérance de vie équivaut à 6 semaines environ. Ils ont énormément de prédateurs (merles, bécasses, taupes, blaireaux…) et n’ont pas la capacité de creuser pour se protéger du froid, de la chaleur ou de la sécheresse, ils sont donc très fragiles. Leur modèle évolutif ne repose pas sur la survie de l’individu mais sur la quantité de descendants (stratégie r). Avant l’été, les épigés font beaucoup de cocons, des sortes de nids contenant plusieurs œufs, qui permettront la naissance de la nouvelle génération en automne. Il peut cependant arriver que des épigés trouvent un « refuge » qui reste suffisamment humide pour leur permettre de survivre tout l’été, et on peut aussi observer, à l’arrivée de l’hiver, des épigés utilisant des galeries verticales (creusées par les anéciques) pour se protéger du froid.

Donc, la quiescence permet de se mettre en léthargie quand les conditions ne sont pas bonnes, et la diapause est une sorte de repos programmé à l’avance. Les vers de terre sont donc pleins de ressources pour… préserver leurs ressources ! Ces comportements leur ont permis de traverser les âges et de survivre jusqu’à aujourd’hui. Nous, les humains, pourrions peut-être en prendre de la graine et calquer sur ces modèles, qui sait.. ?

 

¹ Déterminisme génétique : phénomène qui se déclenche nécessairement dans la vie d’un individu, dicté par les gènes ; les facteurs environnementaux n’ont aucune influence sur le phénomène.

 

Mathilde Juban, étudiante en BTS Gestion et Protection des espaces Naturels à la MFR de Mondy, dans le cadre de son stage sur les vers de terre à l’ADAF.

Sources :

https://www.youtube.com/watch?v=J0h40xDMwxw

https://fr.wikipedia.org/wiki/Quiescence#Chez_les_vers_de_terre

https://fr.wikipedia.org/wiki/Diapause

https://fr.wikipedia.org/wiki/An%C3%A9cique#cite_note-5

Des vers de terre et des Hommes, Marcel Bouché

https://www.greelane.com/fr/science-technologie-math%C3%A9matiques/sciences-sociales/biological-determinism-4585195/